Les tapagoilles

Selon une légende bien ancrée, les seigneurs importunés par les coassements des grenouilles envoyaient toutes les nuits leurs sujets battre l'eau des marécages pour imposer silence aux bruyants batraciens. C'est en effet une légende issue d'une généralisation hâtive propagée par le célèbre historien Michelet pour qui le Moyen-âge était une période d'obscurantisme et de tyrannie seigneuriale. Michelet a écrit : « Beaucoup de droits féodaux, qui nous révoltent, étaient probablement ceux dont le serf se plaignait le moins, parce qu'ils lui coûtaient peu. Telle est la fameuse obligation de battre l'eau la nuit pour faire taire les grenouilles ». Or, l'obligation de « grenouillage » n'existait qu'en certains lieux et seulement certaines nuits : A Roubaix, cette obligation se limitait à quelques jours par année, au château de Laxou près de Nancy, les tapagoilles n'intervenaient que durant la nuit de noce du seigneur, à Frieinsenn, lors du passage de l'empereur, les paysans avaient battu les marécages de leur propre initiative et en avaient été récompensés par l'obtention de libertés, enfin l'abbé de Luxeuil et celui de Prum (diocèse de Trèves) exigeaient lors de leurs déplacements dans une paroisse proche d'une étendue d'eau que « des gens qui ont reçu un patrimoine à ce titre » fassent taire les grenouilles. Ces exemples démontrent que cette légende, loin d'établir la tyrannie des seigneurs, constituaient plutôt la preuve de leur magnamité et le serf s'acquittait « sans peine et de bonne grâce » de cette corvée occasionnelle dont il espérait une contrepartie intéressante. Ainsi donc, les tapagoilles n'étaient pas de vils paysans corvéables à merci, mais de petits malins qui savaient sacrifier une nuit en vue de soutirer droits et libertés à un seigneur béat et réjoui par une bonne nuit.