Jean-Louis Barrault

Celui qui disait "Artiste à Paris et vigneron à Saillon" avait de solides liens avec ce village. Mieux que des raphias... des attaches de fer.

Tout avait commencé par cette journée d'été 1938 lorsqu'il entra pour la première fois au village, pour tourner Farinet. Saillon voulait aussitôt l'inviter à la cave. L'homme s'exclama: "Laissez-moi d'abord me recueillir sur sa tombe. - Mais Monsieur Barrault, il n'y a pas de croix ! - Comment ? Il n'y a pas de croix? Et bien j'en mettrai une."

C'est de ce jour là que date la croix de Farinet pendue au dos de l'église. Barrault est revenu quelques fois par la suite lorsqu'il prenait ses eaux à Evian. Un jour - on s'en souvient-on le fit bourgeois d'honneur et propriétaire de trois ceps.

A ses obsèques, Jacques Toubon, ministre de la culture, souligna l'importance de la vigne chez Barrault. De son côté, François Nourissier, de l'Académie Goncourt, écrit dans le Figaro: "Barrault était un cep." Jean-Louis aurait aimé ce mot, lui qui avait le sens de la formule. Rappelons la phrase lancée sur le coteau de Saillon: "On est tellement bien ici que j'ai l'impression que c'est moi qui vous reçois."

A Paris, lorsque nous lui apportions du vin de son village, à son domicile avenue du Président-Wilson, ou à son théâtre des Champs Elysées, il rappelait en riant ce jour de septembre où pour lui "Saillon avait arrêté le temps et lâché des colombes". Personne n'était aussi sensible que lui à la fugacité des choses, à l'éphémère de la vie. C'était un nomade du bonheur. Il avait pour devise "Saisir le présent". L'important n'est point le passé, n'est point l'avenir, mais cette seconde qu'on savoure entre amis dans la joie d'exister.

Lorsqu'on lui demanda, cinquante ans après le film, ce qu'était Farinet pour lui, il eut ce mot extraordinaire: "C'est maintenant..."

Pascal Thurre

 

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