Le Farinet historique (1845-1880)
diffère beaucoup de celui qu'a remodelé Ramuz. (…) Issu d'une
famille misérable, il se mit dès sa jeunesse à fabriquer de la
fausse monnaie ; s'évadant d'une prison italienne, il gagne le
Valais où, en une décennie, il mettra en circulation des dizaines
de milliers de fausses pièces ; condamné à trois reprises (dont
deux par contumace), il mène une vie d'évadé hors-la-loi ; la
gendarmerie valaisanne le traque sans succès (et mollement
semble-t-il) pendant des années, car la population le soutient, le
cache, égare les gendarmes sur de fausses pistes - pour diverses
raisons : beau, charmeur, sympathique, il est, dit-on, la
coqueluche des femmes ; en outre la pauvreté sévit : par générosité
naturelle, et pour s'assurer des complicités, il distribue sans
compter ses fausses pièces ; quoique dénuées de toute valeur, elles
jouissent d'une certaine tolérance, car le canton connaît une crise
financière si grave que l'on se méfie de la monnaie officielle;
enfin, la rumeur veut que des politiciens trouvent utile de ménager
un homme devenu aussi populaire. Mais la Berne fédérale, se jugeant
bafouée, accroît sa pression : en 1880, les gendarmes acculent
Farinet dans une gorge proche de Saillon ; il est probable que le
fugitif, rompu de fatigue et mourant de faim, a fait une chute
mortelle ; mais le bruit courut aussitôt que ses poursuivants
l'avaient tué…
Ainsi Farinet, surnommé le Robin
des Alpes, faisait figure de bienfaiteur des pauvres, et de héros
du petit peuple valaisan ; tout concourait à la création d'une
légende. (…) Mais c'est au roman de Ramuz, et au film qu'on en tira
en 1938, que Farinet, de légendaire, doit d'être devenu quasi
mythique.
Philippe Renaud
